LES SPECTACLES DE MARIONNETTES TRADITIONNELLES ET POPULAIRES EN IRAN


par Poupak Azimpour Tabrizi

 
Dans l’ère pré-islamique, pendant de la civilisation Sassanide contemporaine du règne de Bahram-e Gur (421-438), près de 12 000 (selon les autorités de Moulouk al-Arz et Majma al-Tawarikh) ou 11 000 (tel qu’indiqué par Firdawsi dans le Shah-nameh) ou environ 5000 – 6000 (selon le Shahname de Saalebi et Farhang-e-Anjoman) artistes et musiciens gitans migrèrent de l’Inde vers l’Iran et fondèrent des traditions et techniques importantes de spectacles. Mais bien que les documents sources, indiquant cette migration culturelle unique et étendue, soient apparus quelques décennies plus tard, nous avons des preuves solides de leur présence en Iran depuis le 10e siècle uniquement. L’un des grands poètes iranien, Nizami Ganjavi, fait clairement référence à la présence d’artistes et de musiciens :

« Six mille maîtres des histoires
Musiciens, danseurs et marionnettistes
De toutes les villes ont été rassemblés
Et de chacun d’eux, chaque ville a reçu
Ainsi peu importe où ils voyageaient
Ils ravissaient les gens et les exaltaient. »

Cette courte introduction permet de donner une idée des racines historiques des spectacles traditionnels en Iran et aide sans doute à comprendre l’unité dans les différents spectacles en Iran, plus particulièrement sur le plan satiriques et comiques. Deux objectifs peuvent être poursuivis dans la description de ces spectacles : tout d’abord leur introduction et leur dénouement, soulignant leur dénominateur commun. Ensuite, la démonstration de la métamorphose et du nouvel usage de ces deux types de spectacles qui ont pour autant gardé leur langage critique, et parfois même, dans une approche très moderne, avec plus de mordant que des mouvements sociaux sérieux en Iran.
Nous entendons par « dénominateur commun » : l’histoire, les composantes linguistiques, les relations entre les personnages, les costumes, les scènes et même leurs esthétiques, ainsi que leur source commune dans un concept général singulier. Tout ceci sera éclairci dans la description de ces deux types de spectacles.

PAHLEVAN KACHAL (LE HEROS CHAUVE)

Pahlevan Kachal est un genre de spectacle très répandu en Iran qui porte différent nom selon les régions. À Isfahan, on l’appelle « La marionnette derrière le rideau ». À Shiraz, ils l’appellent « Jiji viji ». Le nom « Jiji viji », qui signifie grinçant et bruyant, et vient de l’usage de la pratique appelé le Safir par le comédien pour produire la voix vibrante du personnage. À Sabzevar, le spectacle est appelé « Pahlevan Kachal d’Iraq ». Pahlevan Kachal rassemble cinq marionnettes principales et dix marionnettes secondaires. Pahlevan Kachal, Salimeh Khanum ou la Princesse, les Dīvs (démons), Molla ou le maître, et Ververe Jadoo (la mère des Dīvs) sont quelques-uns des membres de la distribution.
Dans un spectacle de Pahlevan Kachal, un vasoonak est chanté au démarrage et un autre est chanté à la fin. Pahlevan Kachal est un spectacle musical : le marionnettiste joue avec deux musiciens assis derrière le rideau ou dans le castelet. L’un des musiciens joue du kamancheh et l’autre joue du tombak. On appelle ceux devant le castelet les babas. Morshed, qui joue aussi du tombak, est “baba no. 1”. Il supervise les marionnettes de l’histoire et interprète parfois ce « langage » inintelligible, sifflé, des marionnettes pour le public.
Les poèmes chantés viennent des vasoonaks de Shiraz, des chansons populaires chantées selon différentes variations dans des mariages ou d’autres célébrations.
Du fait que, dans les temps anciens les cultures orales prédominaient en Iran, les anciennes descriptions des spectacles du Pahlevan Kachal ont été trouvées dans les écrits des voyageurs et des orientalistes de l’ouest. Leon Moussinac a décrit Pahlevan Kachal comme un glouton, malin, sournois, intelligent et hédoniste irreligieux de petite taille, bossu et chauve.
Le poète et iranologue polonais Alexander Chodźko (1804-1891) dit à propos de Pahlevan Kachal :

« Le héros commun qu’est Pahlevan Kachal n’a pas de costume particulier. La caractéristique propre de ce personnage est le fait d’être chauve, comme la bosse distingue Polichinnelle. Le personnage de Pahlevan Kachal est très proche du Pulcinella de Naples mais sa nature profondément religieuse le distingue de Pulcinella et des autres figures Européenne comme Mapatacco de Rome, Arlequin de Bologne et Polichinelle de France. Pahlevan Kachal est également profondément sournois. Il est pieux, éduqué et même, comme tous les Iraniens, poète. Sa préoccupation est de déjouer les Mollas et de taquiner les jolies femmes et jeunes
filles. »

Tel le Lootie, héros local iranien, Pahlevan Kachal est spirituel et a de l’humour sous couvert de noblesse et d’auto-sacrifice (qui est bien sûr exposé plus loin). Dans la plupart des histoires, ce personnage rusé et sournois se convertit en une personne qui lutte contre la tyrannie et l’injustice, qui se lève pour les opprimés. De temps en temps, il sauve une fille emprisonnée dans le château des Dīvs. Dans certains spectacles, Pahlevan Kachal est un homme qui utilise des stratégies opportunes pour atteindre son but. Il est aussi persévérant qu’astucieux. Sa sagesse ressemble à de la ruse et sa duplicité est incomparable.
Physiquement, il est chauve, robuste et grand. Il a des bras musclés et s’habille à la mode des anciens héros. Il porte parfois un casque avec un bouclier, une épée et un gourdin, et apparaît à l’occasion dans un morceau de peau. Si nécessaire, il met un tee-shirt, un pantalon et une large ceinture.
L’une des histoires de Pahlevan Kachal les plus jouées au Shiraz est celle où il s’agit de sauver la princesse de la famille des Divs : la mère des Dïvs (Ververe Jadoo) et ses deux fils (le Dïv à deux cornes et le Dïv à trois cornes). Après avoir tué les Dïvs suite à de nombreux combats, il libère la Princesse Salimeh Khanum, l’emmène chez Salim Khan, le roi, puis lui donne de manière désintéressé sa bénédiction quand elle épouse le serviteur noir. Le serviteur n’être autre que Mobarak, la célèbre marionnette des spectacles de Kheimeh ShabBazi.
Les histoires de Pahlevan Kachal sont jouées partout en Iran avec quelques variations mais incluent toujours la lutte contre le mal et le malin (les Dïvs) et cherchent à atteindre la vertue et la beauté (Salimeh Khanum).
Tenant compte des qualités de Pahlevan Kachal et de son implication dans des problématiques liées au thème de la quête de justice, Alexander Chodźko présente avec justesse cette conclusion anthropologique dans son livre The Iranian Theater :

« Pahlevan Kachal est la quintessence de la tribu iranienne, qui, bien qu’étant supérieure à son voisin en matière de civilisation et de culture, a vécu sous l’occupation de souverains étrangers despotiques pendant les treize derniers siècles. Durant ce temps-là, la tribu iranienne a été emprisonnée et réduite en esclavage, mais c’est en gardant un sentiment de supériorité qu’elle a combattu ses maîtres avec une résistance interne qui devenait une arme. Réduite au parlé doux, à l’hypocrisie et à la duplicité, et avec une patience infinie, comme Pahlevan Kachal, elle a vaincu les puissants dirigeants en utilisant la tromperie, la magie du langage et le charme de la poésie. Voyez ce qu’elle a fait aux commandants macédoniens, aux Arabes convertis et aux khans tartares. Elle les a tous conduit à la corruption et à la destruction, et leur a imposé ses coutumes, sa langue et sa littérature. Et finalement les tribus victorieuses se sont mêlées à la tribu iranienne soumise et maintenant elles pratiquent la religion ensemble, mangent ensemble, boivent ensemble, chantent ensemble, et vivent à la manière de Pahlevan Kachal. »

Il y a, au sujet de la création et de l’origine de Pahlevan Kachal, deux opinions selon les marionnettistes du Shiraz :

« Certains pensent que ce héro est un personnage mythique dont les histoires de grands exploits, dont ses attaques du château enchanté et son combat avec Ververe Jadoo, intègrent Kheimeh Shab-Bazi. D’autres disent qu’une telle personne a existé, qu’il a été un Looti respecté et un marionnettiste après la mort duquel son nom a été donné à l’un des héros, puis utilisé plus tard pour faire référence à l’ensemble du spectacle. »

Sur le plan esthétique, Pahlevan Kachal n’a pas été pourvu d’une belle allure, comme ces homologues en Asie et en Europe, par exemple Kara gӧz en Turquie, Pulcinella en Italie ou Kasper en Allemagne. Comme nous le savons, la plupart de ces personnages ont un dos bossu, un nez cassé, une grande mâchoire ou des yeux minuscules qui accentuent l’absurdité de leur visage, leur apparente ruse et leur sottise.
Sur le plan des mots, pahlevan et kachal ont tous deux des significations contrastées. D’un côté, Pahlevan est un héros fort, athlétique, avec un visage épais et dont l’esprit sportif renvoi l’impression d’une personne courageuse, et d’un autre côté, la calvitie (kachal signifie chauve) est vu comme une tare dans son apparence et représente une imperfection physique diminuant sa beauté. Mais pendant le spectacle, sa nature essentiellement bonne est révélée bien qu’il fasse des actions de tromperie par derrière.
Ce sont donc par conséquent l’intérieur, le personnage et l’esprit d’équipe qui perdure. Si on part de ce point, peut-être qu’aucun personnage traditionnel ne peut être considéré comme « beau » ; ils peuvent même en fait être facilement décrit comme « laid ». Malgré cela, leur popularité n’a pas baissé ; ils ont même, au lieu de cela, été considérés comme des critiques perspicaces, des joyeux amis des enfants, et des saints purs et durs parmi les faibles et les opprimés. C’est lié au fait que le marionnettiste lui-même était un roturier et que les marionnettes, avec leurs gestes exagérés et leurs voix fortes, étaient le seul moyen de libérer la colère et la frustration accumulées contre les puissants dirigeants.
C’est pour les mêmes raisons que de nombreux types de spectacles de marionnette à travers le monde ont été nommé d’après leurs héros. Par exemple Punch en Angleterre, Polichinelle en France, Pulcinella en Italie, et Pahlevan Kachal en Iran. Ce héros légendaire avec son caractère complexe, s’est fait à différentes périodes un nom dans les spectacles traditionnels de marionnettes à gaine iraniennes.
Pahlevan Kachal est ainsi un héros sage et déterminé que l’on suit dans sa vie et ses interactions avec les gens. Il ne nous révèle ses intentions réelles, ni ne nous permet d’être certains de sa morale, de ses pensées et de ses actes. Nous ne pouvons que sympathiser et nous identifier à une partie de ses actes. Nous identifier à lui nous permet de nous consoler face aux actes que les gens ont dans leurs habitudes sociales de la vie qu’ils peuvent être jugés.

SHAB-BAZI OU KHEIMEH SHAB-BAZI

Shab-Bazi ou Parde-Bazi est une forme de marionnette à fil. Dans Fotowat Nameh Soltani, Vaez Kashefi indique qu’il s’agissait d’un spectacle de nuit appelé alternativement Bazi-ye Pishband. Pishband était un coffre devant lequel on jouait avec les marionnettes. C’est également l’endroit où étaient stockées les marionnettes.
Les marionnettistes posaient le coffre entre eux et le public et jouaient devant avec les marionnettes. Plus tard, on l’appelait principalement Kheimehh Shab-Bazi, qui est le nom toujours en vigeur. Le célèbre poète du 13e siècle Attar de Nishapur l’appelait Parde-Bazi. Dans le livre Oshtor-nameh, un “Maître Parde-Baz” et un “maître peintre Kheimeh Shab-Bazi sont mentionnés. Le premier – le peintre – pose les masques colorés sur le tissu devant le castelet (kheimeh), et le second – le marionnettiste – bouge les fils des marionnettes. Kheimeh Shab-Bazi est également mentionné dans l’histoire de Jahangushay au 13ème siècle. L’Iranien Kheimeh Shab-Bazi a des influences remarquables des époques safavide (1501-1736) et Qajar (1794-1925) en raison des échanges culturels avec les spectacles de marionnettes Ottomans, Mongols et Indochinois.
Sadegh Hedayat, le célèbre chercheur et écrivain contemporain iranien dit :

« Kheimeh Shab-Bazi se déroule sur le sol, dans une cabine faite de cordes avec des clous en fer attachés à leurs extrémités. Les murs font 1.70 m de haut et 1.90 m de large. L’arrière, le mur latéral et le toit de la cabine sont plats et sans support. Le mur avant, face au public part du sol et est aussi large que la cabine. C’est une ouverture rectangulaire, coupée à hauteur de 50 cm. À l’intérieur de la cabine, à environ 60 cm de profondeur, se trouve un tissu noir avec de minuscules filigranes Malileh. Les marionnettes apparaissent devant ce rideau intérieur noir qui cache les mouvements des fils des marionnettes. La partie la plus en profondeur de la cabine, où se trouvent le manipulateur et le coffre des marionnettes, est cachée des spectateurs par le même tissu noir. Le sol de la cabine, du mur avant au rideau intérieur au milieu de la cabine, est recouvert d’un tissu blanc sur lequel le spectacle de marionnettes est exécuté. Le marionnettiste, derrière le rideau qui se trouve au milieu du castelet, fait bouger les marionnettes qui se trouvent devant ce tissu et sont donc manipulées au centre du castelet. La longueur des fils attachés dépend de l’ampleur du mouvement de chaque marionnette, les cordes principales étant attachées à la tête et aux épaules des marionnettes. Pendant le spectacle, les fils des marionnettes vont être attachées à des morceaux de bois que les marionnettistes manipulent. Il y a 70 à 80 marionnettes pour chaque spectacle. Les marionnettes sont de hauteur différente, allant de 20 à 35 cm. »

La tête de chaque marionnette est faite de porcelaine (plus tard, on utilisera également le plâtre et le bois) et leur corps est fait de tissu et de bois. Les costumes des marionnettes sont conçus pour chacune selon leur personnage par les marionnettistes ou leurs épouses. Kheimeh Shab-Bazi est un spectacle musical. L’équipe de la représentation est composée d’un triangle de trois personnes autour du maître marionnettiste – deux musiciens et le Morshed, qui est un sage narrateur.
Parfois, le Morshed est également responsable de jouer du tombak, auquel cas trois personnes jouent le spectacle. C’est une tradition plus ancienne. Ces trois personnes collaborent étroitement, le Morshed est le médiateur. Il traduit les mots des marionnettes car leur voix est déformée par le safir (la pratique), et donne également les indications de début et de fin du spectacle. Tous trois peuvent chanter. Par le passé, il y avait aussi un ghashoghzan dans le groupe.
Contrairement à Pahlevan Kachal qui a une intrigue spécifique, il y a dans Kheimeh ShabBazi beaucoup de gestes quotidiens des marionnettes à l’intérieur de la cabine et beaucoup de dialogues spontanés qui peuvent concerner les problèmes et événements du moment qui intéressent les gens. Parmi leurs gestes quotidiens, nous avons : balayer la cabines, Sagha distribuant de l’eau potable aux gens, danser, faire des acrobaties et les spectacles traditionnels iraniens de l’homme fort. Tous ces préparatifs sont pour le mariage du fils de Salim Khan, le chef de la ville. Dans certains scénarios, il se passe quelque chose d’extraordinaire – avec le bruit de la foudre et du vent, un monstre descend et termine le spectacle en rassemblant toutes les marionnettes. Ce spectacle reflète de nombreuses tendances ethnologiques et des croyances et rituels traditionnels propres à différentes périodes.
Golunov, un iranologue russe, remarque :

« On retrouve des éléments anthropologiques dans ce type de spectacles. Les danses, les déménagements, les traditions de mariages et les anniversaires sont souvent choisis comme sujet. Le théâtre Kheimeh Shab-Bazi a beaucoup attiré l’intérêt du public, car il concerne la vie quotidienne des gens et est lié à leur comportement dans la réalité. »

Certains des autres récits de Kheimehh Shab-Bazi sont par exemple Phlevan Panbeh, qui a l’allure et la gloire d’un héros mais qui n’est en fait qu’un lâche, ou Hasan Kachal qui raconte l’histoire d’un garçon paresseux qui, suite à une série d’événements, est conduit au château des Dīvs où il doit libérer la fille captive, et Bijan et Manije qui est une histoire épique romantique du Shah-nameh de Firdawsi.
Par le passé, une représentation de Kheimeh Shab-Bazi commençait à la nuit tombée et se poursuivait jusqu’au lever du jour. Des sujets et des thèmes du moment pouvaient entrer dans le spectacle par l’improvisation, et cela intéresserait la foule puisque beaucoup de frustrations politiques et de classe réprimés pouvaient être évacuées. Ce spectacle a porté une dimension ethnologique à travers les âges et renforcé des vertus qui restent constantes dans toutes les époques, comme l’esprit d’équipe, la générosité, la résistance face à la tyrannie des couches supérieures de la société. Le héros de Kheimeh Shab-Bazi s’appelle Mobarak. Il s’agit d’une marionnette au teint sombre, toujours vêtue de rouge avec un chapeau rouge. Comme les autres marionnettes de Kheimeh Shab-Bazi, il est dirigé au moyen de seulement deux fils attachées à sa tête et à sa taille. La simplicité de cette structure lui permet des mouvements étranges, qui raccourcissent la distance entre ses mots et ses actions. Mobarak est vif d’esprit, insolent, comique et de bonne composition. Il est caractérisé par son engouement romantique et sa verbosité, surtout quand on lui parle !
La principale différence entre Mobarak et Pahlevan Kachal, ce sont les éléments surnaturels présents dans certaines des histoires de Pahlevan Kachal. Malgré sa popularité, Mobarak ne peut pas être appelé un pahlevan ou un héros. Et il ne donne pas non plus immédiatement l’impression d’être un héros au public. C’est un personnage plus ordinaire avec des aspects du public, derrière lesquels se trouve également un rationalisme rusé. Stupide à l’extérieur mais intelligent à l’intérieur, Mobarak est un personnage apparenté à Pahlevan Kachal, si ce n’est qu’il n’est pas censé faire quoi que ce soit d’extraordinaire. Le mot « mobarak » (propice) – nom de cette marionnette noire, est pour créer un préjugé positif sur sa nature avantageuse qui donne de l’espoir. Il cherche une nouvelle terre dans les rires de son public. La terre des gens souriants, où aucun problème ne reste sans résolution et, malgré tous les événements malheureux ou désagréables, avec l’aide du rire et de la dérision, un chemin peut être tracé.
La combinaison dans Kheimeh Shab-Bazi du pouvoir du rire avec celle de concepts littéraires, artistiques, sociologiques et même philosophiques, indique un talent exceptionnel iranien dans les créations artistiques.

CRITIQUE SOCIALE ET POLITIQUE DANS LE LANGAGE DE PAHLEVAN KACHAL ET MOBARAK

En usant du langage satirique des personnages principaux, et en particulier celui de Pahlevan Kachal, et d’une technique utilisée par le passé dans les représentations iraniennes appelées Goriz ou « digression », les artistes des spectacles de Pahlevan Kachal et de Kheimeh Shab-Bazi transposent les contes anciens dans le temps d’aujourd’hui et traitent ainsi de questions actuelles des plus importantes telles que les dérives politiques, les problèmes sociaux et même économiques. Le public sait qu’il n’y a aucune chance pour que les marionnettes approuvent le statu quo. Quand le sujet devient contemporain, les yeux et les oreilles du public attendent des marionnettes une langue mordante et un comportement satirique. La combinaison de l’ancienne langue et des nouveaux termes ajoute à la parodie puisque ni Pahlevan Kachal, ni Mobarak, ne sont censés utiliser les terminologies politiques, économiques ou sociales modernes, devenues à la mode actuellement. Quand les marionnettes vont trop loin dans leurs critiques, le Morshed, depuis l’extérieur du castelet, s’excuse auprès de ceux qui sont critiqués, ou justifie ce que disent les marionnettes, ce qui accroît la satire car les marionnettes contrediront encore le Morshed et pourront même intensifier leurs critiques. Tout cela étant basé sur l’improvisation, cela demande aux artistes de ces types de spectacles un esprit vif et agile.
Pour résumer, voyons brièvement les caractéristiques de comportement des principaux protagonistes des spectacles traditionnels de marionnettes iraniens, Pahlevan Kachal et Mobarak :

  • Exagération : dans le discours, l’action, la religion et l’amour
  • Contraste dans leurs comportements : leur comportement contraste énormément avec la réalité
  • Les taquineries inappropriées : leur intrépidité dans l’usage des mots vulgaires et inappropriés qu’ils utilisent pour d’atteindre leurs objectifs : se moquer des dirigeants, des autorités et des riches avec un langage audacieux et mordant, qui est une qualité distinctive des marionnettes traditionnelles
  • Comique de répétition des mots et des gestes : la répétition de mots et d’actions simples rend les situations drôles et comiques
  • Farces et dégringolade : dans de nombreuses situations, Pahlevan Kachal et Mobarak font des choses improbables et inattendues comme de mettre la corne de Dīv dans la poche de Ververe Jadoo en combattant ; répéter sauts périlleux et loufoqueries sont parmi les autres caractéristiques de ces marionnettes
  • Mensonge, tromperie et hypocrisie : ces personnages sont souvent populaires et bien connus pour leur code d’honneur envers les masses. Cependant, quand il s’agit d’autres personnages et surtout de leurs ennemis, ils mentent sans retenue, et usent de la tromperie, de l’hypocrisie et de la ruse pour défendre la vérité. C’est pour cela qu’ils apparaissent toujours comme agréables et sympathiques.
  • Défendre les faibles et se battre pour les droits des opprimés : le but ultime de ces personnages et de leurs traits de caractère est de faire renaître le droit des opprimés et des faibles face à l’injustice des tyrans.

***

« Ridiculisez-vous et apprenez à jouer de la musique
Afin de défendre vos droits contre le monde »

Finalement, après l’analyse de la structure, de la qualification et des scénarios des spectacles de marionnettes Kheimeh Shab-Bazi et Pahlevan Kachal, nous pouvons en conclure que leur attrait durable parmi les gens repose sur les choses suivantes :
L’utilisation intensive de tous les types de folklore parmi lesquels les histoires, les coutumes et traditions, les proverbes, les croyances populaires, les chansons folkloriques, et autres a été l’un des facteurs clés de succès tant dans la communication immédiate qu’indirecte entre les interprètes et le public des spectacles de Pahlevan Kachal et de Kheime-Shab-Bazi. De même, la langue des marionnettes du castelet ressemble beaucoup à la langue des gens ordinaires, une langue simple dont la puissance suggestive est probablement l’un des exemples les plus remarquables de son genre dans le monde.
Les caractéristiques de Mobarak et Pahlevan Kachal, seuls personnages effronté et audacieux dans le spectacle, ainsi que leur vision et leur langage critiques dégagent un contraste frappant par rapport aux autres personnages, et c’est l’une des forces motrices du spectacle.
De plus, la création de situations linguistiques comiques, voire parfois satiriques, capte l’intérêt du public, et de nombreuses problématiques actuelles que les gens ne se permettent pas de soulever se retrouvent souvent dans la conversation des marionnettes. Le personnage, qui n’est pas pris au sérieux, mais dont le langage a énormément de portée, est une autre raison de la popularité des spectacles. Peut-être Mobarak est-il le même masque que l’interprète met sur le visage de la marionnette courageuse du castelet dans l’intérêt du peuple, faisant de la langue acérée de Mobarak la voix expressive des opprimés de l’époque.
Une autre raison de l’accueil sympathique du public est du fait qu’au pays des marionnettes tous les événements et concepts se produisent simplement et facilement, et la vie quotidienne des gens ordinaires est montrée de façon épisodique en parallèle de la vie des habitants du palais.
Enfin, les interprètes maintiennent l’intérêt du public jusqu’à la fin en utilisant leurs connaissances pratiques et leur forte perspicacité psychologique. Ils sentent l’atmosphère présente et gardent l’interaction immédiate, énergique et joyeuse.
En bref, c’est la combinaison de ces éléments qui constitue le secret de la popularité durable des spectacles de marionnettes iraniens traditionnels.