Lors de l’Assemblée Générale 2018 de THEMAA ont été proposés des Ateliers-Laboratoires : en une sorte d’avant-goût des démarches de réflexion à venir, ces ateliers ont choisi – un possible parmi tant d’autres ! – une entrée par contre-point.
Ci-dessous, pour deux de ces ateliers, le protocole suivi et les productions collectives des participants.

Atelier : En finir avec…

Le protocole

Y’en a marre !! Pour permettre aux arts de la marionnette de se déployer pleinement, il faut absolument en finir avec

  1. Individuellement : déposez par écrit vos ras-le-bol, vos indignations, vos gouttes qui font déborder les vases… mais aussi vos fines analyses, tactiques ou stratégiques. Ecrire 1 idée par post-it
  2. Collectivement : chacun énonce et explicite l’une de ses idées, puis passage à la personne suivante jusqu’à la dernière idée. Au fur et à mesure, les idées sont placées sur un paper board et regroupées par catégorie (ras-le-bol, indignation, goutte, fine analyse tactique, fine analyse stratégique…) et/ou thématique.
  3. Collectivement : classement par intensité : détermination des sujets avec lesquels il faut vraiment, vraiment en finir ! Chacun « vote » en identifiant les sujets prioritaires au moyen de gommettes.
  4. Collectivement : débat sur les sujets identifiés comme prioritaires… ou pas : de quoi parle-t-on ? Que faire de cette indignation ? Comment changer les choses ?

Les productions

En finir avec… (par ordre d’importance/de priorité) :

  1. Un seul CDN et une salle scène nationale dirigée par un marionnettiste.
  2. Clivage programmateur/artiste
  3. Le consensus artistique et la non-prise de risques
  4. Le manque de compétences culture dans les communautés de communes
  5. Les aides qui ne vont pas jusqu’au bout de la diffusion
  6. Le fait de ne pas être payé pour les phases de construction, de recherche
  7. Le manque de communication autour des spectacles
  8. La demande qui nous est faite recourir au mécénat quand on défend le service public.
  9. La non-reconnaissance et la non-connaissance du travail de diffusion par des équipes artistiques

 
Des pistes ? Concernant le clivage programmateur/artiste, qui a fortement évolué au cours des dernières années/décennies, pour des raisons politiques et économiques :

  • ne pas stigmatiser les uns et les autres
  • les jeunes artistes sont fortement impressionnés par les premières rencontres. Il faut avoir une attitude bienveillante et non une attitude de sélection.
  • éviter le rapport acheteur-vendeur.
  • le travail critique, de débat sur des spectacles est à mener ensemble, avec des outils d’analyse.
  • créer des facilitations par l’échange; créer des rassemblements, des rencontres hors enjeux car l’enjeu est commun
  • présentation d’artistes aux programmateurs; invitation par des artistes de programmateurs qu’ils ne connaissent pas, un après-midi à venir découvrir leurs univers, leurs démarches, etc.
  • ou l’inverse, par exemple invitation de programmateurs étrangers à présenter leurs projets à des artistes;
  • faire évoluer les critères de la DRAC, permettre aux collectivités de comprendre que la marionnette n’est pas cantonnée à la gratuité, au jeune public…

Atelier : « Quels arts de la marionnette en 2040 ? Approche dystopique »

Le protocole

Vous êtes en 2040. Quel est, selon votre pire cauchemar, l’état du monde de la marionnette ?

  1. Décrivez, individuellement, votre cauchemar de (au choix) : artiste ; spectateur ; citoyen ; programmateur ; collectivité ; institution.
  2. Formez des sous-groupes et mettez en commun vos cauchemars : quel univers partagé se dessine ? Décrivez-en les différentes dimensions : environnementale ; politique ; artistique et esthétique ; économique ; de relation aux publics ; relative aux métiers ; au travail…
  3. Exposez votre univers (texte, dessin, schéma…) aux autres groupes
  4. Discussion collective : quels sont les points de polarisation, les préoccupations communes ?Qu’est-ce que ce portrait d’un futur-repoussoir nous dit d’aujourd’hui ? Quelles sont les raisons d’espérer ? Où faut-il agir ?

Les productions

Scénario-cauchemar 1

Dès 2030 on assiste à un effondrement du capitalisme, à la fin du salariat, et à une reconfiguration des territoires : fin des états nations, remplacés par des zones géographiques. Par exemple, la France se situerait en zone méditerranéenne.

Le contexte politique fait qu’il n’existe plus de ministère de la culture et plus de soutien à la création. Chaque zone soutient quelques compagnies, ce qui provoque la mort des autres.

En 2040 la baisse du niveau de culture et du QI est généralisée. S’ajoute à cela la disparition des savoir-faire et de l’artisanat qui provoque du côté des artistes un épuisement de la création et de l’originalité. Formatage des tendances artistiques.

Epuisement général des ressources, de l’énergie et des matériaux, augmentation de leur coût : leur usage est surveillé par la Police environnementale. Les artistes subissent ainsi une réduction drastique de la variété de matériaux utilisables. La marionnette s’imprime alors en 3D et perd le charme des matières diverses mais elle devient robotisée, intelligente et à notre service.

Les enfants ne connaissent et ne manipulent les marionnettes que via leurs téléphones portables. Ils n’ont jamais vu de marionnettes dans la réalité.

Pour le public/citoyen, un seul spectacle de marionnette est programmé dans le monde pour une seule date. On ne connaît pas le lieu, la date, l’heure. Pendant des mois, le peuple guette le moindre indice sur les réseaux sociaux qui permettra de faire partie des privilégiés qui auront la chance de découvrir le spectacle, produit de l’art officiel.

Pour les artistes, la concurrence est maximale : il faut se positionner dès le 1er janvier de chaque année  pour être l’unique artiste sélectionné pour la liste officielle – remportant la seule occasion offerte de jouer un spectacle devant un public, de rencontrer un public.

Un projet de loi vise à absorber la marionnette dans les « arts élargis ». Il n’y a donc plus de distinctions disciplinaires.

Chaque jour, à toutes les heures, des robots sont envoyés par Google dans les rues, sur les plages, dans des friches et y présentent des animations à partir de vieilles marionnettes utilisées il y a plus de 22 ans.

Cependant, subsistent dans le milieu underground, des réactivations de formes marionnettiques du XX et XXIe siècles.

Effets collatéraux :
– Plus de connexions entre les individus, les artistes, etc. Chacun travaille seul. Le collectif, l’idée du collectif, de la coopération a disparu. Disparition de l’idée de compagnie, de théâtre, d’expérience collective.
– L’idée de la représentation perd son sens et disparaît, donc plus l’idée du spectateur, ni de théâtre. Absence de théâtre où se représente la multitude, l’altérité, la société, la communauté.
– Uniformisation des rapports à l’autre : tout est plat et avec plus de distance.
– En tant que chercheur, numérisation intégrale des marionnettes, archives, ressources, documentations. Plus de rapport à l’objet.
– En tant que citoyen, évacuation de l’utilisation de marionnettes dans les rites, coutumes et cérémonies. Fin du folklore et de la tradition.

Variations : Scénario-cauchemar 2 

Le commun a totalement disparu ; l’idée même de collaboration a disparu. L’individu est seul : certes connecté mais déconnecté de la matière

D’énormes shows s’adressent à la masse et font l’impasse ou obstruent toutes formes d’émotions et d’intimité. Il n’y a plus de spectacles de marionnettes car « l’économie culturelle » ne permet plus les spectacles à moins de 5 000 spectateurs. Le temps est fini où l’on pouvait avoir la sensation que la marionnette s’adressait à chacun, la sensation d’une relation avec le spectacle ou la sensation d’une relation intime avec la marionnette.

La marionnette est victime de son succès : elle est tellement valorisée qu’elle est devenue une filière économique industrielle de production. On produit de l’identique… Les marionnettes sont fabriquées par des robots et des algorithmes, eux-mêmes produits par des algorithmes

Les spectacles sont diffusés sur une plateforme en ligne, enregistrés à l’avance. Le spectateur paie un spectacle à la demande. Des calculs algorithmiques mettent en relation l’argent investi et les émotions provoquées : les réactions face à l’écran sont captées via webcam, et font l’objet de calculs et traitements qui génèrent et adaptent en temps réel les caractéristiques du « spectacle », pour une satisfaction permanente. Tout est créé et organisé par des ingénieurs et des développeurs. Une personne bouche bée, rêvant ou ne pouvant s’exprimer ne sera pas prise en compte par les nouveaux modes de calculs. L’algorithme contrôle le désir et enlève tout esprit critique.

A la maison, appropriation de cet art devenu industriel : des kits permettent de construire ses marionnettes en 3D chez soi, pour avoir une initiation à l’objet ou pour reproduire des scénarios formatés par des algorithmes.

Effets collatéraux
– La masse n’est plus une communauté de différences mais masse de consommateurs.
– Perte de l’intime, perte du concret, disparition de la matière/instrument, disparition de l’humain.