Je viens du théâtre de marionnette. L’objet est très présent dans ma vie.
Du non-vivant faire advenir le vivant , laisser place sur scène à quelle chose d’autre que soi-même , s’effacer , être au service de…, sont autant de notions très concrètes qui constituent mon rapport à la scène, à l’espace, aux autres, aux histoires, au public bien sûr. C’est sans doute aussi un certain rapport au monde que cet art m’invite à cultiver. Depuis quelque années, je découvre le masque, cousin lointain de la marionnette.
Il se passe quelque chose d’étrange quand je le revêt, un peu comme si mon corps devait obéir à une injonction puissante et irraisonnée. Il semble soudain que mes os, ma peau, ma chair, mes muscles ne soient plus que la surface visible d’un lac très profond et très ancien. C’est dans ce lac que le masque me replonge. Mon corps fait alors remonter à la surface quelque chose qui dépasse ses propres limites : un souvenir presque effacé de nos mémoires, un mystère.
Ce n’est plus de moi qu’il s’agit alors mais d’un archétype : être ressurgit de la nuit des temps pour révéler quelque chose d’inexplicable et irrationnel à notre humanité.
Mon corps tout entier devient à la fois sujet et objet d’un secret qui n’est révélé qu’au public. Moi-même je n’en saurai rien car je suis derrière le masque. Ce secret ne m’appartient pas. Il est donné un point c’est tout.
En masquant une partie très importante du corps, le visage, nous en révélons toutes les autres : chaque mouvement , chaque inspiration prend alors une densité particulière et le corps devient un objet-sujet poétique infini.