Le 2 Janvier 2016, décédait le Professeur Jurkowski. Cet homme incroyable, un érudit, chercheur, critique théâtral, auteur et anthropologue, a consacré sa vie au monde de la marionnette et a tant d’amis et admirateurs dans le monde.
Afin de le garder proche dans notre esprit, les instances de l’UNIMA ont décidé d’utiliser de nouveau, pour 2016, le beau message international qu’il écrivit pour la Journée Mondiale de la Marionnette 2011.
Me voici dans la ville de Omsk en Sibérie Occidentale. J’entre dans le musée ethnographique. D’emblée, mes yeux sont attirés par la grande vitrine où se trouvent des dizaines de figures; ce sont les idoles des tribus ugrofines: les Menses et les Chantes . Elles semblent saluer chacun des visiteurs. Un mouvement intérieur me pousse à leur répondre et je les salue tout autant. Elles sont magnifiques. Elles représentent une trace durable de la spiritualité des générations humaines primitives. Ce sont elles et leur monde imaginaire qui sont à l’origine des premières manifestations et images théâtrales, tant sacrées que profanes.
Les collections d’art regorgent d’idoles et de figures sacrées qui disparaissent peu à peu de notre mémoire. Cependant, dans les musées, il y a aussi des marionnettes, qui elles, gardent les empreintes des mains de leurs créateurs et de leurs manipulateurs. Autrement dit, ces mains gardent les traces de la dextérité, de la fantaisie et de la spiritualité humaine. Des collections de marionnettes existent sur tous les continents et dans presque tous les pays. Elles sont une fierté pour les collectionneurs. Elles constituent des lieux de recherche, gardant la mémoire vivante tout en apportant une preuve importante de la diversité de notre discipline.
L’art, comme beaucoup d’autres activités humaines, se soumet à deux tendances: l’uniformité et la différentiation. Aujourd’hui nous voyons coexister les deux tendances au niveau des activités culturelles. Nous pouvons constater qu’évidemment la grande facilité de voyager, autant dans les airs que sur le net, démultiplient le nombre de contacts dans les différents congrès et festivals, ce qui conduit à une plus grande uniformité. D’ici peu, nous vivrons vraiment dans le village global de Mc Luhan.
Cet état de fait ne signifie pas que nous avons perdu complètement le sens de la différenciation culturelle mais plutôt qu’un grand nombre de compagnies de théâtre utilisent désormais des moyens d’expressions similaires.
Les styles de marionnettes tels le ningyo joruri du Japon ou le wayang d’Indonésie ont été assimilés en Europe et en Amérique. Au même moment, les groupes, qu’ils soient asiatiques ou africains utilisent des techniques marionnettiques européennes.
Mes amis me disent que si une jeune artiste japonaise peut être une virtuose en jouant les oeuvres de Chopin, un américain pourrait devenir un maître de joruri ou un dalang jouant le wayang purva. Je pourrais être d’accord avec eux à la condition que ce marionnettiste assimile, non seulement la technique du bunraku mais également toute la culture qui y est associée.
Plusieurs artistes se satisfont de la beauté extérieure de la marionnette qui donne néanmoins aux spectateurs la possibilité de découvrir différentes formes d’art. De cette façon, la marionnette envahit de nouveaux territoires. Même au sein du théâtre d’acteur, elle est devenue la source de métaphores variées.
Cette grande expansion de la marionnette figurative est liée à un mouvement inversement proportionnel du territoire qu’elle occupait précédemment. Cela est dû à la grande invasion de l’objet et, à plus grande échelle, à tout ce qui touche à la matière. Parce que tout objet, toute matière, soumis à une animation, nous parle et demande son droit à la vie théâtrale. Ainsi l’objet se substitue désormais à la marionnette figurative, ouvrant ainsi aux artistes une voie vers un nouveau langage poétique, vers une création impliquant des images riches et dynamiques.
L’imagerie et les métaphores qui, autrefois, ont été les caractéristiques de chaque type de marionnettes, les différenciant les uns des autres, sont devenues, aujourd’hui, la source d’expression de chaque marionnettiste individuel. Ainsi apparaît un nouveau langage poétique singulier qui ne dépend pas de la tradition générique, mais du talent de l’artiste, de sa créativité individuelle. L’uniformisation des moyens d’expression a engendré leur différentiation. Le village global de Mc Luhan est devenu son antipode. Les différents moyens d’expressions sont devenus les instruments de la parole individuelle qui toujours préfère des solutions originales. Bien sûr, la tradition figurative de la marionnette n’est pas disparue de notre horizon. Souhaitons cependant qu’elle demeure toujours comme un point de référence de grande valeur.
Henryk Jurkowski – 2011
L’idée de créer une Journée Mondiale de la Marionnette fut discutée, pour la première par les membre de l’UNIMA lors du Congrès de Magdebourg, en 2000. La date officielle du 21 Mars, sur proposition de Dadi Pudumjee, fut approuvée en 2002 au Conseil de l’UNIMA à Atlanta. Le premier Message International fut délivré à New Delhi, en 2003, et a gagné en popularité. Elle est, maintenant, célébrée dans le monde entier.
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